Partage de quelques observations et émotions après 10 jours d’expédition

Nous avons tous ou presque, n’en déplaise aux esprits chagrins dénué de fantaisie, une imagerie de ce que peut représenter, esthétiquement parlant, l’une ou l’autre des contrées de ce vaste monde. Depuis que nous sommes en Croatie, la projection que nous nous en faisions nous échappe progesssivement et nous ne cessons de nous émerveiller de la variété des paysages. Nous sortons des clichés, humbles explorateurs de lieux qui sortent des circuits touristiques. Nulle ville, nul monument, nul parc classé, ne sauraient être ignorés à notre époque. Et pourtant, c’est au cœur de « Méditerranée, terroir divin », que vignobles et oliveraies prennent incarnation et deviennent mémoire. En effet, tous les vignobles n’ont pas les prérequis pour obtenir une classification, que ce soit au Patrimoine mondial de l’UNESCO ou à l’aune d’une autre attribution qui pourrait la protéger un peu plus loin dans l’Histoire. Et de fait, ils restent souvent anonymes, discrets, silencieux.

Ainsi, nous voyons ce que d’autres ont vu, tandis qu’ils ont compulsé guides touristiques et illustres magazines. Nous nous en inspirons parfois, d’ailleurs. Puis, nous effleurons et discernons le reste. Ce qui échappe aux évidences, mais qui importe à ceux qui, grâce à leur travail, leur engagement et leur amour de leur terroir, donnent merveilles à voir, à déguster, et à transmettre.

De ces paysages qu’ils modèlent au vin dans nos verres en passant par le filet d’huile d’olives sur nos plats, ils perpétuent des traditions tout en transmettant leurs visions personnelles.

Voilà 10 jours que l’équipe de reportage 2019 est partie de notre Occitanie. Le printemps est particulièrement capricieux, à moins que ce ne soient les exigences inhérentes à notre reportage, inscrit dans un vaste espace contrasté et dans un temps imparti limité, qui nous le fassent ressentir comme tel.

Nous quittons l’Île de Pag et ses oliviers millénaires et poursuivons notre périple le long de la côte croate et son chapelet d’îles. La côte croate est très découpée si bien que la Croatie compte 698 îles, 389 îlots et 78 récifs. 47 îles sont habitées.Nous sommes toujours en Dalmatie. Cette dernière est le vignoble méridional de la Croatie et représente 51% dessurfaces cultivées (environ 11000 ha), dédiées principalement à la production de vins rouges (83%), bien que les vins blancs les plus chers du pays se trouvent près d’ici, sur l’Île de Korcula, que nous visiterons dans quelques jours. Le territoire croate abrite un nombre impressionnant de terroirs et une palette extraordinaire de variétés endémiques (130 ont été comptabilisés). Deux phrases bien connues ici résument à elles-seules l’incroyable richesse viticole de la Croatie :

« Sa culture de la vigne remonte aussi loin que les premiers habitants qui se sont installés sur ses terres »

« La liste des cépages autochtones est aussi longue que la côte croate ».

Le cépage emblématique de la région est le Plavac Mali, un cousin éloigné du Zinfandel, donnant le plus célèbre vin rouge dalmate. Mais c’est un cépage local bien particulier et sa conduite de culture original que nous allons découvrir dans les jours à venir dans la zone de Primošten, située dans le nord de la Dalmatie, à environ 25 km à l’est de Šibenik et à 60 km à l’ouest de Split : le babić !

C’est par une belle matinée et 21 degrés et demi que nous rencontrons Léo Gracin et les alentours de Primošten.

Pionnier du babić, Leo Gracin (Domaine Leo Gracin) est œnologue, professeur à l’Université d’Agroalimentaire de Zagreb. Il œuvre pour la reconnaissance de cette variété endémique et le classement de ce vignoble au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le domaine où œuvre Leo Gracin est fondé en 2000 par lui et son père Ante.  En 2006, leur premier babić est enfin mis sur le marché et déclaré meilleur babić puis classé parmi les meilleurs vins croates rouges.

Dès notre arrivée, Léo nous emmène sur une ligne très ancienne et remarquable sur les hauteurs de Podgreben où Claude, notre photographe, réalise parmi les plus belles images de ce séjour grâce à un environnement incroyablement minéral qui domine à la mer. C’est l’occasion pour Léo de nous parler de son père, décédé l’année dernière. A l’origine de la revitalisation de la zone de Bucavak, c’était un passionné jusqu’au-boutiste qui a convaincu les autochtones d’enlever les oliviers pour mieux implanter les vignes de babić. A l’époque, les vignes vieillissant, les locaux préféraient les arracher pour planter des oliviers, plus faciles à entretenir. C’est la raison pour laquelle nous avons côtoyé régulièrement des carrés de vignes à côté de carrés d’oliviers. Cette tendance s’est inversée il y a quelques années, le gouvernement soutenant les vignerons dans le développement des vignes afin qu’ils replantent de nouveaux pieds plutôt que des oliviers.

Les années passant, la famille continue d’exercer une influence considérable dans le secteur. Grâce à Leo, œnologue expérimenté, le babić est reconnu comme authentique et parvient à l’excellence. Cépage unique à Primošten, il existe depuis les débuts de la viticulture dans cette région et nécessite des conditions extrêmes (sols calcaires arides, peu fertiles, caillouteux, températures élevées, pentes abruptes) pour atteindre son apogée. Il donne alors des vins concentrés, structurés, aux puissants arômes de mûres, et, mis entre de bonnes mains, il peut atteindre une majesté d’ordinaire réservées à des vins de qualité comme la Syrah de la vallée du Rhône et le merlot de Saint-Émilion. Il faudra néanmoins encore quelques années pour en mesurer tout le potentiel de qualité finale et de vieillissement. La production de la propriété s’élève de 6 à 7000 litres avec deux parcelles de son fameux vin doux, le Proçek.

Pierre, soleil, mer, vent sont les éléments qui décrivent le mieux le terroir de Primošten et il y a peu de précipitations tout le long du cycle de vie annuel. Le vignoble Gracin possède une superficie totale d’environ 50 ha et se caractérise en général par une tenue de vigne pour le moins singulière, dite en « dentelle de pierre ». Il s’agit d’un écrin de 4 à 8 ceps tortueux, sertis de murets en pierres sèches qui dévalent en pentes raides jusqu’à la mer. Ode au travail des vignerons, ce vignoble est tellement exceptionnel que sa photographie a été exposée dans le hall du siège des Nations Unies à New York. La vigne est conduite en gobelets (2 à 3) et sans fil ou autre système d’appui. Cette méthode de culture donne 4 à 7 grappes, mais une partie de la récolte est régulièrement perdue, en général en juin, en raison de vents violents („jugo » et « bura »). En plein été, en souffle un autre appelé le Maestral et qui se manifeste souvent de midi au coucher du soleil.

Vinery Gracin possède des vignobles dans deux zones distinctes. L’une d’elles est Bucavac avec deux vignobles d’une superficie totale de 1,3 ha, tandis que l’autre se situe à Šljinovac d’une superficie totale de 3 ha. Avant la Seconde Guerre mondiale la zone de Bucavak était composée uniquement d’une parcelle ovoïde juchée sur un sommet et appartenant à l’Eglise. Par la suite, en fonction de la taille des familles de Primošten , l’État leur vendit les terrains viticoles.

Impressions de reportage

Toutes les conditions semblent se conjuguer pour nous offrir le meilleur de Primošten. :

Les paysages et l’agencement des vignes courant vers la mer est remarquable!

La quasi absence de terre et la présence de cailloux offrent une trame riche en texture et les vieilles vignes n’en sont que plus expressives!

La lumière est ensorcelante, à l’aube et au crépuscule!

Quelques nuages ajoutent profondeur et douceur à nos prises de vues!

Le vent modéré nous autorise d’inédites prises de vues en drone!

Et les rencontres fortes dans ces mystérieux paysages lunaires rendent l’ensemble d’autant plus intense…